La dignité d’un homme reconnue

Témoignages

Soeur Marie Bosco, de la Compagnie de Sainte Ursule de Fribourg vit dans une communauté insérrée dans un quartier de la ville deGenève.
Elle raconte :


«Salut ma soeur» ! c’est ainsi qu’il m’appelait de la rue, de sa fenêtre, ou lorsqu’il venait frapper à la porte de la communauté pour demander le lui prêter 10 francs en attendant sa retraite mensuelle.

Stéphane, nous l’avons connu, il y a 9 ans. Il venait de s’installer dans notre immeuble, avec sa femme Katia et le petit Matthieu nouveau-né. Des parents qui, apparemment déja touchés par la drogue, n’ont pas tardé à se séparer, et Matthieu, passant de l’un à l’autre, grandissant comme un petit bout d’homme, s’affirmant d’autant plus qu’il était trop tôt confronté à l’insécurité et à la souffrance.

Un jour, la mine sombre, le regard noir derrière sa casquette, Stéphane m’invite à m’asseoir au bistrot de la Traille où il buvait des bières. en trente minutes, il me raconta sa vie, les vilolences subies dans son enfance, les révoltes contre son père trop brutal avec lui, l’abandon, la rue, la prison et toute cette détresse qui le conduisait par moments à des tentatives de suicide.

Depuis, un lien s’est tissé, un lien de confiance avec la communauté aussi.
Un soir, alors que nous étions en train de souper, voilà qu’il sonne à la porte. Je l’invite à entrer. A mon grand étonnement, il accepte de s’assoeir à notre table. Il demande une bière et aussitôt me dit :

«Tu sais ma soeur, je vais en finir avec cette vie de M… Ma toubib est d’accord que je fasse appel à «Exit». J’ai demandé de pouvoir au moins mourir dignement. Ca suffit la souffrance ! Je n’en peux plus. J’ai décidé ! Mais j’ai une question, ma soeur : Est-ce que je vais encore être puni de faire ça ? Est-ce que le patron, là-haut, va encore me condamner» ?
Il évoque le suicide de son grand-père disant :
«Il n’a même pas eu le droit aux obsèques de l’Eglise». Il reprend :
«Je veux en finir avec cette vie de souffrance, mais j’ai peur que ça continue ce l’autre côté.»
Il pleure comme un enfant. Je lui mets la main sur l’épaule et lui fais écho de ce qu’il ressent. Les larmes coulent sur ses joues caverneuses et il renifle. Soeur Marie Noêlle lui apporte des mouchoirs. Pascale et Marie Laetitia compatissent sans mots.

«Mon grand souci, dit-il ensuite, c’est Matthieu. Matthieu, c’est ma fierté. Mais c’est trop de douleur depuis que j’en suis séparé. Je sais bien que je ne suis pas à la hauteur d’être son père ! Je ne voudrais pas le faire souffrir comme ça !»

Entre larmes, il nous fait comprendre qu’il nous confie Matthieu. Je pose alors la main sur son bras. Marie Laetitia ose quelques paroles de réconfort est de mise en confiance. Il pleure, il s’exprime avec ses gros mots, sa révolte gronde. Dans sa voix, j’entends du désespoir. Le silence s’impose. Soudain il me prend la main et dit :
«Je t’aime, ma soeur», puis il se lève, s’excuse auprès de nous et veut partir.

A ce moment, il se laisse aller dans mes bras, comme un enfant qui cherche consolation.
Les soeurs sont là, témoins silencieuses de cette confiance. Il salue chacune avec reconnaissance et tandis que je l’accompagne à la porte, je l’invite à reporter sa décision :
«Que nous puissions en reparler». «Parole donnée ma soeur !»

Quelques mois plus tard, Claude, son voisin de palier, le visage consterné, nous annonce que Stéphane est décédé. Il l’a trouvé mort devant sa TV qui marchait encore. Probablement qu’il s’est éteint la veille, alors qu’il regardait comme chaque dimanche soir le Grand Prix des vedettes automobiles. Il avait, nous dit-il, le visage beau et comme apaisé.

Non, il ne s’est pas fait violence. Dieu lui-même semble être venu le chercher. «Parole donnée» ! Oui, Stéphane a toujours tenu parole envers nous.

Je me suis inquiétée des funérailles lorque j’ai appris que sa famille avait décidé l’intimité du centre funéraire et ne voulait rien d’autre qu’un morceau de musique pour les adieux. J’ai alerté la paroisse, les responsables du CARE, l’abbé Viennat et soeur Anne que Stéphane estimait beaucoup. J’ai réussi à contacter sa mère et obtenu de pouvoir préparer une petite prière :« D’accord me dit-elle au bout du fil, mais que ça ne dure pas une demi heure !»

Et bien, c’est plus de trois quart d’heure qu’à duré cette célébration où chacun qui le souhaitait était invité à rendre spontanément un hommage à Stéphane. Sa mère, qui est conteuse, est intervenue d’abord avec des paroles de vérité qui ont ému toute l’assemblée et nous étions nombreux du quartier et d’ailleurs à accompagner Stéphane.
Puis sa soeur, puis Claude qui a témoigné du moment où il l’a trouvé… Puis l’assistant pastoral m’invite, ainsi que soeur Anne, fillede Saint Vincent de Paul, à donner le témoignage quenous avions préparé.

Sur le cercueil, il n’y avait ni fleur ni couronne, selon le désir de la famille, mais de nombreuses casquettes collectionnées par Stéphane à chaque Grand Prix des courses automobiles. Un peu de sa vie prit une dimension symbolique lorsque, dans un geste aussi surprenant qu’inattendu, le célébrant saisit l’une de ces casquettes pour en coiffer la croix qui surplombait le cercueil en disant :
«Et bien, Stéphane, le Christ a pirs nos casquettes, lui aussi a passé la mort, tu es en bonne compagnie !»

Sourires, larmes se mélangeaient dans l’assemblée touchée par ce langage familier qui a permis de dire en toute vérité le Notre Père…
Chacun qui le désirait pouvait partir avec une casquette souvenir.

Steph ! comme je t’appelais, tu es mort dignement, selon ton désir exaucé. Ta dignité d’homme blessé par la vie a été mise en lumière et reconnue par tous.

Dans les jours qui ont suvi ces funérailles inédites, des échos nous sont parvenus : tous ont été touchés. Même les enfants venaient nous poser des questions sur la mort et exprimer leur émotion.

A la fenêtre de l’appartement de Stéphane, le store est descendu, mais sa présence habite encore tous les coeurs.

Soeur Marie Bosco

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