Vous avez dit “bien commun” ?

Un pas de côté


Voici les questions qui me furent posées un jour où je participais à une rencontre très locale des ACM (Assises Chrétiennes de la Mondialisation) :


— Comment, à partir de ce que je vis, je perçois la mondialisation ?

— Ce que cela signifie pour moi du point de vue spirituel ?

— Quels défis cela nous lance pour nous comprendre nous-mêmes et comprendre le monde ?

— Comment notre vocation chrétienne est interpellée là ?

— Qu’est-ce qui nous fait bouger, nous meut, nous anime ?

— Qu’est-ce qui vient contrarier nos convictions ?

Tout cela avec un angle d’attaque : celui du bien commun…

Je ne peux parler qu’à partir de ma lucarne et ne peux prétendre faire le tour de la question, mais je suis heureuse qu’on m’ait donné l’occasion de réfléchir.

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D’où je parle ?

D’un lieu communautaire, où des personnes sont rassemblées dans la suite du Christ de l’Evangile pour se mettre ensemble au service de la croissance humaine et spirituelle de toute personne rencontrée.

Je suis membre d’une congrégation religieuse née au début du 17° siècle en France ; Actuellement, nous faisons, à 90 personnes, le grand écart entre les USA, la France et la République Démocratique du Congo.

J’ai été personnellement pendant une quinzaine d’années au service de la vitalité et de l’unité de cette congrégation. Voilà donc le terrain où je perçois la mondialisation et où je travaille au bien commun…C’est un petit laboratoire du «bien commun mondialisé». 

Qu’est-ce que je mets sous le mot « bien commun » ?


— Ce qui est bon pour tout l’être humain et pour tous les êtres humains ; cela ne peut qu’impliquer leur relation à tout le cosmos, et leur relation entre eux.

— Le bien commun est à recevoir, ensemble et pour la vie de tous ;
Il est aussi à gérer, protéger, développer, ensemble et pour la vie de tous.

— Il est un don et une tâche à accomplir.
Il n’est pas abstrait.

— Il ne se reconnaît qu’ensemble ; il ne se définit qu’ensemble.

Ensemble, c’est-à-dire à part égale : la voix de tous compte, et même, celle du plus petit, du plus fragile, du plus pauvre, est une référence et une préférence.

— La différence est respectée : l’unité, le bien commun recherché n’est pas uniformité, nivellement des différences ; il n’est pas le plus petit commun dénominateur non plus.

— Le bien commun, je le vois plus comme une recherche ensemble, en commun, de ce qui est bon ou le meilleur pour tous.
C’est le bien que nous visons en commun, ensemble ; c’est le bien que nous voulons construire en commun, ensemble.
C’est un bien qui est toujours celui des personnes, et qui passe forcément par le bien de tout ce qui porte, nourrit, construit la vie des personnes et leurs relations : l’environnement, le social, le politique….

— Le bien commun se construit d’abord dans la façon même dont on le cherche, en commun, ensemble. Nos processus, nos méthodes, nos façons de faire ne sont pas anodins.

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Comment ce que nous vivons et faisons en congrégation s’inscrit-il dans cette recherche d’un bien commun mondialisé ?

— Le fait que des membres du corps que nous formons soient dans trois contextes tellement différents nous bouscule à chaque fois que nous cherchons à communiquer, à dialoguer entre nous.

— «Etre qui nous sommes…» Cette clarté est à jouer en communion. Nous avons à gérer dans la confiance nos expériences, nos tâtonnements, avec une légitime diversité. «Dans le contexte de la mondialisation, le service ecclésial de la communion réclame nos énergies.» [[Carmélites. La Croix du 9/11 04]]

— Nous faisons l’expérience concrète des efforts que demande la vigilance pour ne pas imposer un « modèle », une culture dominante… conversion toujours en chantier, par exemple pour ne pas retomber dans un certain eurocentrisme qui a caractérisé le développement de la congrégation pendant la majeure partie du 20° siècle.

  • Vigilance pour permettre au groupe le plus jeune, le plus neuf, le plus petit, et le plus économiquement pauvre aussi, d’exister pleinement, de prendre la parole à part égale, de prendre les décisions qui lui reviennent, de faire des choix inculturés qui peuvent dérouter.
  • Vigilance pour que, dans la recherche de solidarité et fraternité entre nous, le rapport à l’argent, à la richesse économique, aux moyens matériels, ne divise pas, ne gonfle pas, n’humilie pas.
  • Vigilance pour que la non violence des relations fraternelles selon l’Evangile permette à toutes d’exister et de vivre un véritable « échange de dons ».

L’appartenance à trois contextes très différents fait grandir notre conscience d’être dans un monde où tout est interconnecté, interdépendant.
Nous nous enrichissons mutuellement des points d’attention plus particuliers à chaque groupe régional :

  • Par exemple, les sœurs des USA militent avec d’autres en particulier pour un rapport plus juste avec la création, pour une spiritualité de la création et de l’écologie.
  • Nos sœurs du Congo militent avec d’autres de la Société Civile et de l’Eglise, en particulier pour une éducation de tous à leur dignité de citoyens responsables et pour une action non violente pour réclamer leurs droits.
  • Cela pousse le petit groupe français, plus âgé en général, à des engagements dans des réseaux Nord Sud, pour s’informer, participer à des campagnes citoyennes, et pour soutenir par la prière.
    Cela pousse des sœurs à creuser avec un réseau en même temps que personnellement la dimension de la non violence évangélique dans tout ce qui fait leur vie.
    Il y a donc stimulation, encouragement, parce qu’il y a conscience de liens solidaires, de fraternité par delà les frontières, d’appartenance à un même corps. [[d’être « membres les uns des autres »Rm 12, 5]]

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Quels défis cela nous lance pour notre vocation chrétienne ?
Qu’est-ce qui nous fait bouger, nous anime ?

— A la base, comme pour tous ceux qui se réclament du Christ : l’Evangile, le visage humain de Dieu en la personne de Jésus. Il nous appelle à habiter notre humanité , à habiter notre vie, à habiter notre monde, ici et maintenant, à sa manière à lui, «venu pour que tous aient la vie en abondance» [[Jean, 10, 10]]

— Comme femmes consacrées à Dieu dans une communauté pour le service des autres, nous recevons le défi de vivre dans le monde d’aujourd’hui les vœux que nous professons : suivre Jésus Christ pauvre, chaste et obéissant :

  • Voeux
    • Défi de vivre des relations sans exclusion ;
    • Défi de mettre en commun tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons, entre nous et pour tous ;
    • Défi de chercher ensemble comment s’exprime aujourd’hui « ce que Dieu veut », pour nous-mêmes, dans notre communauté internationale, et pour le service que nous pouvons rendre ;
  • Faire communauté
    • Défi de nous soumettre les unes aux autres, de nous mettre à l’école les unes des autres, sans domination, dans un apprentissage permanent d’Evangile ;
    • Défi de faire communauté par delà les frontières, par delà les incompréhensions, les malentendus, les blessures, sans jugement et jusqu’au pardon ;
    • Défi de vivre la rencontre concrète entre les personnes et les cultures, plus que jamais :  «les temps présents appellent à se familiariser les uns les autres.»  [[Marc Muller]]
    • Défi de cohérence entre ce que nous professons et nos actes ! Par exemple, défi de vivre la frugalité, de « vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre », dans nos sociétés de consommation.
  • Vocation d’éducatrices
    • Défi de vivre pour aujourd’hui notre vocation d’éducatrices en toute rencontre, avec cette dimension d’éducation à la responsabilité personnelle, au choix, dans la conscience de l’interdépendance de tout et de tous.
    • Défi de renforcer dans la vie quotidienne, les rencontres, les propositions, « les réalités qui sont de l’ordre du sens de l’existence : le visage d’autrui, la parole, l’échange, le don, le pardon, la créativité, la fête.» [[ Albert Rouet]]

— Depuis les origines de notre congrégation au 17° siècle, nous nous rattachons à un grand courant de spiritualité  : celui d’ Ignace de Loyola. En voici quelques aspects qui me semble t’il, nous poussent, nous animent plus particulièrement dans la recherche d’un bien commun mondialisé  :

  • Le monde, la vie, l’humain, sont le lieu de l’expérience de Dieu. C’est là qu’il se donne à trouver et qu’il fait signe pour que chacun et tous choisissent la vie.
  • L’être humain est créé pour aimer, louer, et servir Dieu, et par là trouver la vie. Et tout ce qui est dans le monde est appelé à entrer dans ce mouvement, à y prendre sens, à sa juste place : l’être humain à sa juste place, toute la création à sa juste place.
  • La juste relation à Dieu permet la juste relation des êtres humains entre eux et avec le monde.
  • «Accorde-moi la grâce de connaître intérieurement tout le bien reçu, pour que, par une pleine reconnaissance, je puisse en tout t’aimer et te servir.» [[Ex.Spir.n°233]] Il s’agit d’un « servir par reconnaissance» , d’une  «action de grâce» : j’y retrouve ce que je disais plus haut du bien commun comme un don à recevoir et une tâche à accomplir.
  • Une pédagogie fondée sur le respect de la personne : croire à la base que la personne en face de moi, l’autre, a quelque chose à me dire, à m’apporter, même si cela me déroute.(Ex.Spir.) Essayer de comprendre; cheminer au pas de l’autre, à partir du point où il en est ; se mettre au service de sa croissance, de sa structuration interne, au service de sa liberté à découvrir, à affermir, à utiliser dans des choix, des décisions éclairées.
  • L’attitude et les moyens du discernement  : l’attitude de quelqu’un qui «veille» , pour que surgisse un sens, des priorités à respecter, des limites à poser.
    En faisant mémoire (s’arrêter, mettre les choses à distance, trier…)
    En posant un regard de bienveillance sur le présent (voir comme Dieu voit…)
    En considérant l’avenir avec soin (repérer ce qui pointe, les signes…) [[Ces quelques lignes sont tirées d’un article d’Agnès Hédon dans la revue Christus sur Résistances Spirituelles]]
  • Un des critères de discernement, et donc de choix à faire et décisions à prendre, est la «recherche du plus grand service de Dieu et du bien le plus universel» [[Const.S.J. Tome 1, partie 7, chap 2, n° 622]]

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Ce qui contrarie nos convictions, notre idéal, quant au bien commun…

La liste est très longue…Voici ce qui me vient pour aujourd’hui :

  • Nos individualismes personnels et nos individualismes nationaux, qui nous traversent bien…
  • Nous sommes pétries de tous les freins au dialogue en vérité : par exemple le manque d’écoute véritable de l’autre, de sa vérité ; le manque d’accueil des différences…
  • Les conforts dans lesquels nous nous installons, l’habitude, la routine…l’effritement de notre capacité d’indignation, de lutte, d’engagement…
  • Nos prises de pouvoir à l’intérieur de notre groupe, qui négligent la voix des autres…
  • Nos paresses ou timidités à rejoindre des réseaux où peuvent se conjuguer les analyses, les énergies et les actions, pour  «entrer en résistance»  de façon plus réaliste, efficace et fraternelle ; pour construire déjà par le choix des moyens que nous prenons le monde auquel nous aspirons. (« Soyons nous-mêmes le changement que nous souhaiterions pour notre communauté, pour la société, pour le monde» )
  • Trop peu d’écoute ensemble de la Parole de Dieu, pour nous remettre ensemble et inlassablement à son école et sous son feu. Nous ne prenons pas assez soin des sources, des racines de tout amour actif de l’autre et de tous les autres.
  • Nos manques d’espérance ! Nous nous décourageons souvent faute de cultiver l’espérance en cultivant tous les petits «possibles» :

Des convictions nous animent, un idéal nous attire, et nos manques sont autant d’appels à la conversion permanente. Nous sommes en marche sur ce chemin là et nous y rejoignons tous ceux qui cherchent à construire un monde et des relations selon le coeur de Dieu, à condition de “passer à l’acte” : c’est à dire de faire ce qui est en notre pouvoir, là où nous sommes.

 «Entre le souhaitable et le réel, il y a le possible, un nouveau nom pour l’espérance»

Régine du Charlat dans Christus

Soeur Marie Bernard


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